Réalisation : Sophie PAVIOT
Sur une idée originale de Nicolas VENDÉ et Anthony VOISIN
54 mn, 2010
ImmigrationLe sous-titre du film est explicite : "Retour sur le conflit des travailleurs intérimaires sans-papiers de l’Agence Man BTP".
Ils sont donc 88, ces travailleurs sans papiers, âgés de 22 à 35 ans, d’origine malienne, sénégalaise, mauritanienne et ivoirienne, travaillant en France, parfois depuis de nombreuses années.
Le 3 juillet 2008, ils décident d’occuper les locaux de leur agence d’intérim, la Société Man BTP, rue St Vincent de Paul (Paris Xe), soutenus par l’Union Syndicale Solidaires et l’association Droits Devant !!
Des ouvriers du bâtiment, sans-papiers et intérimaires de surcroît, qui se mettent en grève pour obtenir leur régularisation par le travail ! Tout laisse penser qu’ils vont droit à l’échec…
Pour décrypter une grève devenue exemplaire, le film mêle images du conflit des 88 de Man BTP (filmées par un gréviste, Mr Yaya Sow) et interviews des protagonistes. Les acteurs du mouvement reviennent sur les grandes étapes et Nicolas Jounin, sociologue, explique la place des sans-papiers dans le secteur du bâtiment.
FICHE TECHNIQUE
Avec :
Jean-Claude Amara – Droits devant !! (porte-parole)
Harouna Camara – gréviste délégué
Denise Chautard – Droits Devant !!
Amy Fall – comité de soutien
Jean-Michel Isabel - Solidaires
Nicolas Jounin – sociologue, auteur de Chantier interdit au public
Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, Éditions La Découverte, Paris 2008
Thierry Laprévote – comité de soutien
Djiby Sy - gréviste délégué
Abdoulaye Sylla – gréviste (non régularisé)
Interviews
Anthony Voisin
Ludovic Simbille
Images de la grève
Yaya Sow
Images de studio et montage
Sophie Paviot
Musique
Pancho Sanza
CE QUE DISENT LES 88
Ce texte a été rédigé à la mi-juillet 2008 par les grévistes de MAN BTP, lors d’un atelier d’écriture.
« Nous, 88 travailleurs sans papiers âgés de 22 à 35 ans, d’origine malienne, sénégalaise, mauritanienne et ivoirienne, nous sommes mis en grève le 3 juillet et occupons depuis l’agence d’intérim MAN BTP spécialisée dans le bâtiment où se fournissent en main d’œuvre bon marché, via des filiales « donneuses d’ordres », les groupes BOUYGUES, VINCI et compagnie… Nous sommes venus en France pour travailler. Chez nous, c’est la misère. Si une vie heureuse y était possible, nous ne viendrions pas exécuter ici les travaux les plus durs. En France, nous trouvons facilement du travail avec des faux papiers (moyennant 300 à 400 euros) ou avec les papiers d’un autre (frère, cousin, copain). Les travaux qui nous sont proposés, notamment dans le bâtiment, sont les plus pénibles, ceux que personne d’autre ne veut faire : démolition, marteau-piqueur, boiseur…
Depuis que nous travaillons en France, parfois depuis de nombreuses années (2000, 2001), nous cotisons à la sécurité sociale, aux caisses de retraite et de chômage, nous payons des impôts, en échange de quoi, nous vivons dans l’angoisse permanente de nous faire arrêter. Cette peur ne nous quitte pas. Le soir, après une journée harassante de labeur, à l’heure de rentrer au foyer, nous ne sommes jamais sûrs d’y arriver. Nous nous sentons coupables d’une faute que nous n’avons pas commise si ce n’est celle de vouloir vivre dignement. Nous risquons à chaque instant l’expulsion, la pire des choses pour nous. Et quand elle est appliquée, notre premier objectif est de revenir.
Nous avons entendu parler des premières actions initiées le 15 avril dans les médias. Nous avons alors compris qu’une régularisation par le travail était possible. Après avoir pris contact avec le syndicat Solidaires, nous avons décidé de nous mettre en grève, conscients de la longévité potentielle de la lutte. Le 3 juillet au matin, nous étions 60 à occuper l’agence. Le soir même, nous étions 80. Quelques jours plus tard, nous étions 120. Sur le nombre, certains n’ont pas joué le jeu. Ils se disaient grévistes alors qu’ils continuaient à travailler. Lors d’une assemblée générale, nous avons mis les choses au point. Seuls sont comptabilisés, les grévistes qui répondent présents aux 3 comptages journaliers : 9h30, 14h et 17h.
Sur les 88 que nous sommes aujourd’hui, 15 passent, à tour de rôle, la nuit sur place. N’ayant pas accès aux toilettes de l’agence, nous galérons pour faire nos besoins. Le maire du 10ème, lors de sa visite, nous a promis de faire le maximum pour nous installer des toilettes de chantier. Nous espérons de tout cœur qu’il tiendra parole et nous l’en remercions par avance.
Pour qu’aboutisse notre démarche, nous demandons solennellement que s’opère au plus vite la plus large unité syndicale, associative et politique autour de notre combat. Nous en appelons à toutes les personnes de bonne volonté ainsi qu’à tous les collectifs de sans papiers pour parvenir collectivement à faire comprendre au gouvernement que la seule solution est de régulariser toutes et tous les travailleurs sans papiers, isolés ou pas, intérimaires ou pas.
En travaillant sans relâche depuis des années, enchaînant les missions les unes derrière les autres sans prendre de vacances, nous estimons, à juste titre, être à moitié régularisés. Nous attendons du gouvernement qu’il fasse l’autre moitié du chemin. »
POUR EN SAVOIR PLUS, lire « La grève des sans-papiers au miroir de la précarité », du collectif Asplan (équipe de recherche formée début 2008 pour suivre la grève des sans-papiers).