Réalisation : Philippe BAQUÉ et Alidou BADINI
Production : La SMAC, SAHELIS
62 mn, 2007
Afrique | DéveloppementBanalisé dans la grande distribution, le commerce équitable est devenu une référence pour les institutions et les discours officiels. Il prétend aider les populations les plus déshéritées de la planète à émerger grâce à une répartition plus juste des revenus.
Le beurre de karité, produit par les femmes les plus pauvres du Burkina Faso, est de plus en plus apprécié en Europe où il est utilisé dans les produits cosmétiques ou comme substitut du chocolat. En partageant la vie de ces femmes, le film nous conduit au cœur des problèmes de survie de l’Afrique.
Mais, à qui profite vraiment l’argent du beurre ? Qui se cache derrière l’étiquette ? Quelle répartition des richesses pour les petits producteurs ?
Dans la savane du Burkina Faso, l’arbre à karité occupe une place importante dans l’économie de subsistance villageoise. Les femmes extraient les amandes de ses fruits pour les transformer en beurre aux multiples vertus, utilisé dans la cuisine et pour les soins du corps. En vendant le karité, sous forme d’amandes ou de beurre, elles se procurent un petit revenu complémentaire.
Dans un petit village du sud-ouest du Burkina-Faso, nous partageons le quotidien de deux co-épouses, depuis la récolte des fruits du karité et la préparation du beurre jusqu’au marché local. Dans la même région, nous suivons le travail harassant de femmes réfugiées de Côte d’Ivoire qui produisent du beurre de karité pour le compte d’une association caritative. Toutes ces femmes vendent leurs produits à différents réseaux d’intermédiaires et de commerçants qui sillonnent les campagnes et achètent au plus bas prix. L’un approvisionne en amandes le représentant d’une importante société hollandaise, qui en exporte en Europe plusieurs milliers de tonnes. Elles sont transformées en beurre dans des usines et revendues aux industries agro-alimentaires. L’autre réseau alimente en beurre une mystérieuse société française de cosmétique. Dans les deux cas les bénéfices sont juteux, mais la part qui revient aux productrices burkinabées est infime : elles ne peuvent pas en vivre.
Pourtant un autre type de relation économique est possible. Dans la filière karité du Burkina Faso, plusieurs expériences de commerce équitable sont en cours. Juste prix, préfinancement, transparence… sont quelques-uns de ses principes. Mais ces expériences peuvent-elles échapper aux lois implacables du marché ? Leurs acteurs français affichent les mêmes intentions, mais sur le terrain leurs pratiques diffèrent.
Nous suivons au fil des semaines quelques femmes du groupement de productrices de beurre de karité de la ville de Léo. Elles reçoivent la visite d’un de leurs clients français, un responsable de la société L’Occitane, qui se présente à elles comme l’initiateur du commerce équitable. Des ONG proches de l’association Max Havelaar sont aussi en relation avec les femmes de Léo pour préparer des commandes dans le cadre du commerce équitable. Mais la transparence tant vantée n’est pas toujours au rendez-vous et les prix “justes” sont critiqués par les femmes du groupement. En France, nous suivons le parcours du beurre de karité jusque dans les locaux de L’Occitane. Quelle part du prix de vente revient aux femmes ? Leur travail est-il pris en compte ? Les responsables nous donnent leur version du commerce équitable. Comment le respectent-ils ? Comment est-il contrôlé ?
A Tenkodogo, nous nous familiarisons avec les productrices du groupement Laafi. Depuis trois ans, elles fournissent du beurre de karité à la société française de commerce équitable Andines. La présidente de Laafi a acquis une grande connaissance de la filière karité. Elle explique les difficultés à établir un commerce plus juste. Selon elle, seul le prix proposé par Andines peut permettre de rémunérer correctement le travail des femmes. Il est cinq fois plus élevé que celui de L’Occitane. Nous suivons la relation de confiance que les femmes de Laafi ont tissée avec la responsable d’Andines. Comment cette expérience est-elle possible et viable ? Mais l’exemple de Laafi et Andines dérange au sein même du petit monde du commerce équitable. Cette appellation, non contrôlée, a-t-elle encore un sens ?
Nous sommes deux réalisateurs qui avons l’habitude de travailler sur les mutations sociales et économiques de nos sociétés contemporaines.
Alidou Badini connaît bien le monde rural de son pays, le Burkina Faso, et a tissé des liens avec les femmes qui luttent au quotidien pour la survie de leur famille.
Philippe Baqué s’intéresse à l’économie alternative et a suivi le développement du commerce équitable.
En Afrique, de nombreuses actions humanitaires prétendent réduire la pauvreté. Elles sont souvent menées dans le cadre de grands principes censés apporter un remède miracle. Un temps, ce fut le “développement durable”. Aujourd’hui, le “commerce équitable” a pris la relève. Ses protagonistes permettront-ils enfin à l’Afrique de jouir de ses richesses ?
Le commerce équitable est actuellement en vogue en Europe. Des boutiques en tout genre s’en réclament et les grandes chaînes de supermarché lui ouvrent leurs rayons. Si à ses débuts, les principes du commerce équitable étaient clairement en rupture avec le commerce dominant et la spéculation financière qui le guide, ils nous semblent aujourd’hui beaucoup plus confus. Nous avons ainsi souhaité revenir aux sources du commerce équitable pour savoir s’il peut encore ouvrir des portes sur un autre monde. Nous avons rencontré en France les responsables de l’entreprise Andines, qui furent dans les années 80 à l’initiative du commerce équitable. Nous les avons suivis au Burkina Faso durant leur visite à Laafi, un groupement de productrices de beurre de karité. Plusieurs séjours parmi ces femmes nous ont convaincus que leur relation avec Andines satisfaisait leurs exigences de justice économique et sociale et était exceptionnelle dans la filière karité. La plupart des intermédiaires, des exportateurs ou des ONG prétendent aider les productrices à sortir de la misère. Certains se réclament même abusivement du commerce équitable. Nous avons découvert que, dans la pratique, l’accroissement de la demande de karité en Europe ne profite pourtant pas aux productrices. Les lois du marché ne leur permettent que la survie. Les femmes de Laafi, elles, s’en sortent et leur exemple dérange. À travers une série de portraits, nous réaliserons une mise au point pour faire connaître le commerce équitable, tout en nous interrogeant sur la place réservée à un idéal généreux et solidaire dans nos sociétés contemporaines.
Le site et la revue de référence des cultures africaines
Dans le titre, c’est l’argent le sujet de ce film et c’est là son grand mérite. On y parle gros sous, de façon claire, précise, sur la base d’une véritable enquête de terrain, et c’est fondamental. Car il y a des chiffres qui parlent. Il est rare de sortir d’un documentaire en pouvant répéter à son entourage les données que l’on vient d’entendre durant 62 minutes. Si c’est le cas pour Le Beurre et l’argent du beurre, c’est parce que ce film est d’une appréciable limpidité. Construit comme un récit chronologique, il suit la chaîne commerciale et industrielle en partant de celles qui ramassent et préparent les amandes ou le beurre de karité, les femmes du Sissili au centre-sud du Burkina Faso, la région de Léo d’où provient une grande part du karité importé en Europe, de plus en plus demandé dans la cosmétique ou comme substitut du cacao. Et il suit la filière, d’intermédiaire en intermédiaire. Alors que le principal travail est fourni par ces femmes, les prix s’envolent à chaque échelon. Et voilà qu’en nous la colère monte en même temps que le dégoût, car c’est l’histoire d’un scandale humain, celui de femmes qui se tuent au travail pour un revenu de misère tandis que de gros bénéfices se construisent dans leur dos, à la faveur de leur ignorance des circuits et de leur précarité. Ce scandale, c’est bien sûr celui de notre monde.
Mais revenons au point de départ. Une femme vend les amandes de karité à 30 francs CFA le kilo (5 centimes d’euro) au marché. La semaine de travail nécessaire à ramasser et préparer les 40 kg vendus à un revendeur qui négocie ferme pour tenter d’obtenir le meilleur prix ne lui rapporte donc que 1200 Fcfa : 2 euros. Lorsque cette même femme amène son fils au dispensaire pour le faire soigner, on lui demande de payer 4800 Fcfa pour les médicaments…
De fil en aiguille, nous suivrons le circuit, chez les grossistes de Bobo Dioulasso, puis chez les exportateurs du port de Lomé, jusqu’à cette société française au grand discours sur le commerce équitable, l’Occitane, présente avec 600 magasins dans 57 pays. La culbute est incroyable. L’Occitane travaille avec une union de productrices de la région de Léo. Elle paye 700 Fcfa (1,07 euro) le kilo de beurre de karité. Cela paraît cadeau quand on sait qu’en dehors d’un circuit privilégié, le kilo se négocie entre 210 et 235 Fcfa (32 à 36 centimes d’euro). Mais la réalité est là : une femme met une journée de travail acharné à produire ce kilo de beurre. Après déduction des coûts, le revenu qu’elle en tire est insuffisant pour en vivre, même à 700 F. A l’autre bout de la chaîne, nous voyons le joli petit emballage avec lequel l’Occitane vend le beurre qui, au terme de son traitement industriel, revient à 4,70 euros le kilo à la sortie de l’usine. Ramené au kilo, le beurre coûte au consommateur 144 euros ! Soit 135 fois le prix payé aux femmes de Léo.
Commerce équitable ? C’est un des grands arguments de vente de l’Occitane. Le bénéfice de la société en 2005 s’est élevé à 14 millions d’euros. Oui, les chiffres parlent. Ce film le fait remarquablement. Il va aussi voir la société Andines qui, elle, paye 3000 Fcfa le kilo de beurre aux femmes du groupement Laafi, leur permettant d’avoir un salaire équivalent à celui d’un instituteur, de s’acheter un vélo et de scolariser leurs enfants. Une société dont le bénéfice a été de 2000 euros en 2005. Et qui refuse de travailler avec la grande distribution.
Seulement voilà, à 3000 Fcfa le kilo, les industriels ne suivent pas et Andines reste une exception heureuse mais non généralisable. Cela aussi, ce film honnête le dit. Alors, nous nous prenons à rêver, que les femmes s’organisent en un cartel ayant connaissance des marchés, des contraintes et des possibles, que le rapport de forces soit tel qu’elles puissent véritablement négocier leur prix. Un rêve ? Oui, une utopie. Mais si nous voulons que le scandale du monde évolue, ne faudra-t-il pas en passer par là ?
Il faut écouter et voir ces femmes pour en sentir la nécessité. Le Beurre et l’argent du beurre est un film passionnant, édifiant et foncièrement utile.
Olivier BARLET : Vous avez dit commerce équitable ?
Réalisation : Philippe BAQUÉ et Alidou BADINI
Image : Alidou BADINI et Arlette GIRARDOT
Son : Isidore LALLÉ SAM et Honoré SOULAMA
Montage : Jean-François HAUTIN
Production : La SMAC (Jean-François HAUTIN), SAHELIS (Sekou TRAORE)
Avec la participation du CNC et du Fonds Images Afrique du Ministère français des Affaires étrangères
Et le soutien du Fonds Francophone de Production du Sud, de la Région Aquitaine, de la PROCIREP
Pour plus d’équité dans le commerce : l’association MINGA